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Les Alpes et le Septième Art

Les Alpes représentent un décor exceptionnel pour nombre de films documentaires et fictions.

Fabrizio Bartaletti, géographe et professeur émérite à la faculté des lettres de Gênes (Genova-Italie), subdivise la création cinématographique alpine en cinq ou six catégories.

  • La célébration des usages montagnards et le mythe du superhéros. L’œuvre de Arnold Fanck et Luis Trenker exprime la quintessence de ce style.
  • La comédie avec un entrelacement d’histoires d’amour sur fond de beaux paysages, très en vogue dans l’entre-deux-guerres, et la comédie comique et satirique.
  • Le film noir et d’aventure, avec par exemple (The Eiger Sanction) - La sanction 1975, de Clint Eastwood.
  • Le film psychologique avec un travail approfondi sur le caractère des personnages façonné par un environnement très particulier.
  • Le film documentaire

 

À l’origine du cinéma alpin.

Traditionnellement, on fait remonter la naissance du cinéma de montagne à 1901 avec la création d’un artiste resté anonyme intitulée Cervin, et ce, malgré la découverte récente du film muet de Georges Monca, Un drame dans la montagne réalisé en 1898.

Les débuts du cinéma alpin s’expriment principalement au travers de courts-métrages illustrant des secouristes en actions (Felix Mesguich Drame sur les glaciers de la Blümlisalp), des alpinistes avec par exemple Legrand associé à la mission Vallot qui immortalise en 1906 la première ascension filmée du Mont-Blanc.

Max Linder réalise en 1910 et 1911 trois courts-métrages comiques destinés à faire la promotion de Chamonix. Durant la même période, les Tre Cime di Lavaredo  dans les Dolomites font l’objet du documentaire de l’Anglais Omerson Smith, tandis que son compatriote Burlingham filme les ascensions du Cervin et du Mont-Blanc. Les Italiens Luca Comerio et Paolo Granata immortalisent en 1916 au travers de deux films la tragédie de la Grande Guerre dans les Dolomites.

Un des films de fiction le plus marquants de ce début de XXe siècle est celui tourné en 1919 par Erich Von Stroheim, La loi des montagnes.

 

L’émergence de la fiction dans le film alpin

Arnold Fanck est un véritable précurseur du genre et développe un idéalisme héroïque très germanique proche de l’idéologie nazie. À l'assaut de la montagne - (Im Kampf mit dem Berg - 1921) et La Montagne du destin (Der Berg des Schicksals - 1924), comptent parmi ses œuvres les plus représentatives. Dans le second film, c’est l’alpiniste et futur metteur en scène Luis Trenker qui interprète le rôle principal tourné dans les Dolomites de Brenta. L’Oberland bernois et les Alpes bavaroises constitueront le décor de La Montagne sacrée (Der heilige Berg) en 1926 en collaboration avec Luis Trenker. Une des protagonistes, l’actrice Leni Riefenstahl, réalisera elle-même plusieurs films, comme La Lumière bleue (Das Blaue Licht - 1932), création représentative du genre.


Les œuvres de Luis Trenker, acteur, metteur en scène, architecte et grimpeur d’Ortisei dans le Val Gardena, mort en 1998 à Bolzano à l’âge de 98 ans, furent dans les années d’après-guerre reléguées au second plan :  on leur reprochait d’avoir été très appréciées par Hitler et Goebbels… En réalité, il ne peut être considéré comme un cinéaste de régime. Ses productions d’avant-guerre sont plutôt empreintes d’un esprit pacifique ; le film Les Monts en flamme (Berge in Flammen) en 1931 raconte l’histoire du Comte Arturo Franchini et de son ami Florian Dimai, guide renommé des Dolomites que la Première Guerre mondiale oppose dans les tranchées, mais qui se retrouveront à la fin du conflit pour grimper de nouveau ensemble. Le talent de Luis Trenker réside dans son habileté à créer des personnages psychologiquement complexes sur fond d’aventure alpine.
Il lègue une œuvre prolifique autant comme acteur que metteur en scène : Le drame du Cervin (Der Kampf ums Matterhorn - 1928), Le défi (Der Berg Ruft - 1937), Hymne à la neige (Liebesbriefe aus dem Engadin - 1938) etc.

Mais le documentaire demeure un mode d’expression du septième art alpin privilégié.

 

En Allemagne

Arnold Fanck, innove en 1931 avec L’Ivresse blanche (Der Weisse Rausch), une œuvre tournée dans le Vorarlberg (Autriche) premier film de ski avec pour protagoniste le pionnier Hannes Schneider.


Lothar Brandler alpiniste et cinéaste réalise à l’âge de vingt ans Une cordée européenne qui retrace l’ascension de la directissime en face nord de la Cima Grande di Lavaredo dans les Dolomites par Pierre Mazeau, Roberto Sorgato et Winfried Ender. Cette œuvre se caractérise par sa sobriété, les seuls dialogues se résumant aux paroles échangées entre les grimpeurs.

Le film de l'allemand bavarois Philip Stölz (Nordwand) - Duel au sommet (2008), adapté d’un fait réel, retrace la tentative tragique, durant l'été 1936, de l'ascension de la face Nord de l'Eiger (Alpes bernoises) par Toni Kurz et Andi Hinterstoisser, chasseurs alpins bavarois et de la cordée autrichienne concurrente composée de Willy Angerer et Edi Rainer, membres du parti nazi allemand.
Cette paroi de 1600 m, dressée au-dessus du village de Grindelwald (Suisse), était encore inviolée malgré quelques tentatives et considérée comme une des plus terribles faces des Alpes. L'évènement fut largement couvert par la presse internationale et particulièrement par les autorités allemandes. L'alpinisme véhiculait à l'époque des valeurs d’abnégation, de don de soi, de courage, de virilité et de grandeur morale et le succès d'un tel exploit sera utilisé à des fins de propagande à la gloire du Reich.

 

En Suisse

C’est aussi avec le documentaire que nait le cinéma alpin suisse.

Emil Harder tourne en 1924 Les Origines de la Confédération (Die Entstehung der Eidgenossenschaft) d’après l’œuvre de l’Allemand Schiller auteur de la pièce Guillaume Tell.

Parallèlement, des longs métrages de fiction font leur apparition, en 1934, Rapt  de Dimostri Korsanov ou en 1939 Farinet, l’or dans la montagne de Max Haufler dans lequel figure Jean Louis Barrault. Le symbolisme s’exprime avec force dans le cinéma helvétique, en 1985 avec Derborence de Francis Reusser et Si le soleil ne revenait pas  de Claude Goretta (1987).  Mais le réalisme et le mélodrame occupent également une place importante dans la filmographie foisonnante de la seconde moitié du XXe siècle ; La dernière chance de Leopold Lindtberg (1945) Le postillon du Gothard d’Edmund Heuberger (1941). Le mythe helvétique d’Heidi draine une abondante production tout d’abord américaine (1937), Shirley Temple y interprète le rôle d’Heidi, puis italienne en 1952 avec Son tornata per te de Luigi Commencini. Suivront en 1955 les créations de Franz Schneider et en 2001 Markus Imboden. Téléfilms et films inspirés de l’histoire de la petite héroïne montagnarde se succèderont. Le cinéma d’animation japonais s’empare également de ce thème.

 

En France

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, en 1952, Samivel, poète et écrivain, metteur en scène, auteur de dessins humoristiques reçoit le prix du festival international du cinéma de montagne de Trente, en Italie (Trentino-Alto-Adige). Son œuvre Cimes et Merveilles est un véritable hymne à la nature. Gaston Rebuffat avec Étoiles et Tempêtes (1952) et Marcel Ichac avec Les Étoiles de Midi figurent parmi les talentueux écrivains cinéastes.

D’autres écrivains comme Roger Frison-Roche inspirent les metteurs en scène tel Louis Daquin qui adaptera en 1944 Premier de cordée. Le film La Loi du Nord de Jacques Feyder d’après un roman de Maurice Constantin offre un rôle de premier plan à l’actrice Michèle Morgan.

Chamonix et plus généralement la zone du Mont-Blanc constitue le décor de plusieurs œuvres cinématographiques, ainsi L’Assassinat du père Noël de Christian Jacques (1945) ou Sortilèges du même auteur,  et plus récemment,  Mort d’un guide de Jacques Ertaud (1975) ou encore Les Inconnus du Mont-Blanc de Denis Ducroz (1987).

En 1988, L’Eiger en Suisse s’érige en toile de fond du drame La Face de l’Ogre de Bernard Giraudeau adapté du roman de Simone Desmaison. Bernard Giraudeau, redevenu acteur, livre en compagnie de Gérard Lanvin des exploits alpinistiques spectaculaires dans Les spécialistes (1985) de Patrice Lecomte.

Gaspard de la Meije, fiction tournée en Oisans en 1984 par Bernard Choquet relate la vie d’un jeune paysan et chasseur de chamois qui atteint le mythique sommet en 1877.

La Trace de Bernard Favre (1983) s’appuie également sur des faits historiques et évoque la période où la Savoie est devenue française.

La dernière saison de Pierre Beccu (1991) obtient un prix à Trente.

 

En Italie

Pierre Beccu est un élève d’Ermanno Olmi, professeur à l’école de cinéma de Bassano del Grappa (Vénétie-Italie). Il prend modèle sur l’œuvre de son maître Le temps s’est arrêté (Il tempo si è fermato - 1959), qui évoque l’incompréhension entre générations.

En 1994, le collaborateur d’Ermanno Olmi, Mario Brenta adapte le roman de Dino Buzzati Barnabò des montagnes (Barnabò delle Montagne) pour le grand écran.

Mais, c’est dès 1916 que le cinéma italien s’intéresse aux Alpes. Ainsi l’histoire de Maciste alpino retrace-t-elle l’histoire d’un héros qui sauve un groupe arrêté par les Autrichiens dans les Alpes tyroliennes. La guerre dans les Alpes orientales est souvent source d’inspiration pour les cinéastes transalpins ; Scarpe al sole en 1935 de Marco Elter rend hommage aux soldats qui ont combattu dans les Préalpes de Vénétie. Giorgio Ferroni tourne dans les Dolomites Pian delle stelle, une fiction basée sur des faits réels avec pour thème la résistance dans les Alpes pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le genre western à travers l’œuvre de Sergio Corbucci fera un détour par les Dolomites de Cortina d’Ampezzo, dans Le grand silence (Il grande silenzio-1968).
Les  Dolomites prêtent  une nouvelle fois leur décor à La pelle dell’ orso (2016) de Marco Segato.

Plus à l’ouest, Cino, garçonnet de neuf ans, quitte le Piémont italien pour aller travailler dans les alpages du Mercantour, dans la fiction de Carlo Alberto Pinelli, Cino, l’enfant qui traversa les montagnes (La storia di Cino - 2013-2014).

Le film de Paolo Sorrentino La giovinezza (2015) se situe dans le cadre des vertes Alpes suisses.

 

Aux États-Unis

Le cinéaste américain d’origine autrichienne Fred Zinnemann choisit pour cadre l’Engadine (Suisse) pour Cinq jours ce printemps-là (Five Days One Summer - 1982) une comédie dramatique dont le personnage principal est interprété par Sean Connery.  La neige en deuil (The Mountain - 1955) d’Edward Dmytryk évoque la catastrophe aérienne d’un avion indien échoué sur les pentes du mont Blanc.

Dans la production à grand spectacle de Renny Harlin Cliffhanger (1993) la conque de Cortina d’Ampezzo dans les Dolomites vénitiennes vole la vedette à Sylvester Stallone.

 

Et maintenant…

Les Alpes jouent un rôle primordial dans la prolifique filmographie de sports extrêmes, ski, alpinisme, vélo tout terrain, etc.

En 1982, Jean-Paul Janssen, dans La vie au bout des doigts met en scène le grimpeur Patrick Edlinger promoteur d’une forme pure de l’escalade dite « libre » réalisée sans aide, uniquement avec les prises du rocher. Au-delà d’une simple pratique sportive, l’égérie française de l’escalade libre considère cette activité comme un mode de vie. L’ascension par la célèbre alpiniste Catherine Destivelle de la voie « Pichenibule » dans les gorges du Verdon est filmée par Robert Nicod dans È pericolo sporgersi (1985). En 2005, Gilles Chappaz dans La cordée de rêve immortalise la traversée des Alpes de Patrick Berhault et Patrick Edlinger, deux figures mythiques de l’escalade.

Par ailleurs, la préoccupation de l’équilibre écologique face au réchauffement climatique et à la sur fréquentation touristique de certains lieux, contraint les habitants des Alpes à faire preuve d’une grande faculté d’adaptation. Cette alchimie complexe, synthèse entre tradition et modernité, représente une source d’inspiration pour le septième art.

En 2012, Jean Afanassieff, Christian Schidlowski, Lisa Eder-Held, Christian Stiefenhofer et Klaus Steindl nous invitent avec le documentaire Les Alpes vues du ciel (diffusé sur la chaine de télévision Arte) à un voyage alpin de la Slovénie à la France, à la rencontre de ses habitants qui y vivent et y travaillent. Ces téléfilms documentaires mettent en lumière cette capacité des alpins à faire cohabiter en harmonie les pratiques les plus ancestrales avec les technologies les plus avancées.

Le phénomène "sériel" s’empare également des Alpes et Fabrice Gobert explore différents lieux de Savoie et Haute-Savoie autour d’Annecy dans sa série Les Revenants (2012).

 Les festivals de cinéma se multiplient dans l’ensemble de l’arc alpin :
-Festival du cinéma de montagne de Trente (Italie),
-International Mountain and Adventure Film Festival, à Graz (Autriche),
-Festival du film de montagne et d'aventure d'Autrans (France),
-Festival du film des Diablerets (Suisse), etc.

Nous avons tenté de dresser un inventaire global de l’œuvre cinématographique ayant pour thème les Alpes, mais cet article est loin d’établir une liste exhaustive de la production, tant les Alpes dans leurs dimensions multiples représentent une source de créativité intarissable pour le septième art.

Cimalpes-Cinémathèque d'image de montagne

Cinema-Références bibliographiques